Entropie et phénomènes irréversibles
Introduction

Les Réflexions sur la puissance motrice du feu que le jeune polytechnicien Sadi Carnot fit paraître en 1824 sont à juste titre considérées comme l'acte de naissance de la thermodynamique.

Pourtant, en dehors d'un cercle étroit d'ingénieurs, elles ne furent que faiblement diffusées et il fallut attendre leur première transposition mathématique par Émile Clapeyron en 1834, après la mort de Carnot, pour qu'elles commencent à être mieux connues, à défaut de pouvoir être facilement lues. À la fin des années 1840, elles semblèrent contredites par la mise en évidence par Robert Mayer et James Joule de la possibilité de transformer du travail en chaleur.

En effet, Carnot avait fait reposer son travail sur la théorie du “calorique”, communément admise à son époque, selon laquelle la chaleur est un fluide conservatif, dont la quantité ne peut ni augmenter ni diminuer dans l'Univers. William Thomson, qui fut à l'origine du mot “thermodynamique” et du recours au concept d'énergie, voyait une difficulté majeure dans cette utilisation du “calorique”. Le futur Lord Kelvin n'en reconnaissait pas moins la validité pratique de ce qui était déjà devenu le “principe de Carnot” : dans une machine thermique, le travail est produit grâce au passage de chaleur d'une source chaude vers une source froide et, dans le cas idéal, le rendement de la machine ne dépend que de l'écart de température entre les sources.

C'est un physicien de vingt-huit ans, Rudolf Clausius, qui, dans un mémoire de 1850, reprit les calculs de Clapeyron et montra que le “second” principe de Carnot est à la fois incompatible avec la théorie du calorique et cohérent avec le “premier” principe d'équivalence travail-chaleur (plus connu aujourd'hui en tant que principe de conservation de l'énergie) si seulement une partie de la chaleur issue de la source chaude passe à la source froide, le reste étant converti en travail. Dans ce mémoire, où il introduit par ailleurs les notions de “gaz parfait” et de “température absolue”, Clausius fonde sa démonstration sur l'impossibilité pour la chaleur de passer spontanément d'un corps froid vers un corps chaud et sur une préoccupation centrale de Carnot : veiller à ce qu'aucun transfert thermique du chaud vers le froid ne se fasse en pure perte, par conduction thermique, et qu'il y ait au contraire production de travail, par variation du volume.

Quatre ans plus tard, Clausius poursuivra sa mathématisation du principe de Carnot en déterminant une “valeur d'équivalence” égale au rapport de la chaleur à la température absolue. Mais il faudra attendre 1865 pour qu'il finisse par inventer la fonction “entropie” 1 et puisse formuler en toute clarté les deux principes de la thermodynamique pour un système isolé (et sa généralisation, l'Univers) :

  • une loi de conservation : l'énergie de l'Univers est constante ;

  • une loi tendancielle : l'entropie de l'Univers tend vers un maximum.

Jean-Luc GODET - Université d'Angers Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de ModificationRéalisé avec Scenari (nouvelle fenêtre)