Dans les paragraphes précédents, nous avons modélisé les milieux diélectriques par un effet moyen des molécules. On peut aller cependant un peu plus loin en séparant les contributions moyennes des molécules constituant le milieu de leurs contributions locales.
Méthode de Lorentz
Ainsi, si nous considérons un milieu diélectrique où règnent un champ électrique et un vecteur excitation électrique homogènes (comme au sein d'un grand condensateur par exemple) nous pouvons autour d'un point donné définir une sphère d'un rayon petit mais décelable à l'échelle microscopique ; l'étude des molécules à l'extérieur de cette sphère pourra donc se faire d'un point de vue macroscopique comme dans les paragraphes précédents.
Par contre l'étude des molécules situées à l'intérieur de la sphère relève d'une étude microscopique.
Le champ régnant au centre de la sphère est donc en vertu du principe de superposition somme du champ créé par les charges libres (sur les armatures du condensateur par exemple), du champ créé par les charges liées au diélectrique à l'extérieur de la sphère, et du champ créé par les molécules présentes dans la sphère.
Or si nous supposons par exemple que la polarisation d'ensemble de la sphère microscopique est dirigée suivant la direction des coordonnées polaires, alors le champ créé par les charges liées au diélectrique à l'intérieur de la sphère est somme des contributions des charges surfaciques telles que nous les avons vues au paragraphe précédent, et des contributions des charges volumiques.
or
Et par symétrie les contributions à de part et d'autre de l'axe s'additionnent pour donner une résultante double suivant ce même axe pondérée par un en projection.
En sommant sur la moitié de la sphère située par exemple pour les il vient
or sur la demi-sphère
et finalement
en faisant le changement de variable trivial
Ainsi le champ total régnant dans la sphère au point vaut
Remarque :
Dans un milieu gazeux, liquide ou solide totalement amorphe assimilable à une distribution de dipôles totalement irrégulière le champ est nul comme nous l'avons expliqué dans les paragraphes précédents, de même que pour un réseau régulier cubique dont serait un noeud.
Polarisabilité d'un diélectrique
Rappel :
Nous avons défini la polarisabilité d'un dipôle de moment soumis à un champ électrique local par
Si dénote le nombre de dipôles par unité de volume alors
Polarisabilité électronique
Rappel :
Le moment dipolaire d'un nuage de charges situées aux positions vaut
Pour un noyau d'hydrogène par exemple
L'électron étant environ 1836 fois plus léger que le noyau, l'amplitude de son mouvement est bien plus importante, et on peut donc négliger en première approximation le mouvement du noyau sous l'effet d'un champ extérieur (c'est une des versions de l'approximation de Born-Oppenheimer)
Ainsi en simplifiant les notations
Dans la théorie simplifiée classique de l'électron élastiquement lié nous pouvons écrire l'équation de Newton pour l'électron de masse soumis à une force de rappel et une force de freinage
La solution stationnaire pour vaut
donc
et
Si nous introduisons la pulsation de l'oscillateur harmonique correspondant à la force de rappel élastique
donc
donc la polarisabilité électronique statique vaut
Pour aller plus loin et préciser la valeur de la pulsation à partir de premiers principes, un traitement quantique de l'électron est nécessaire.
Polarisabilité ionique
Dans le cas d'un cristal ionique on obtient un résultat tout à fait similaire en sommant sur les contributions des ions.
Polarisabilité d'orientation pour des molécules polaires
Nous avons vu que dans un milieu désordonné constitué de molécules polaires, la polarisation moyenne est nulle par suite du désordre, en champ nul. Par contre si le champ local est non nul, on va observer une tendance à l'orientation de dans le sens de afin de minimiser l'énergie potentielle d'interaction entre les dipôles et le champ. Cet effet est cependant contrarié par l'agitation thermique.
Quantitativement, supposons qu'il y a dipôles par unité de volume, contenus dans l'angle solide défini autour de la direction . La densité de dipôles vaut
Il se trouve que l'on peut en théorie cinétique classique (voir l'introduction du cours de thermodynamique correspondant) exprimer la probabilité de trouver un système dans l'état d'énergie (l'état d'énergie la plus basse possible étant pris à )
par
étant la constante de Boltzmann et la température absolue du thermostat entourant le système.
Les probabilités étant normalisées à on obtient ainsi la constante de proportionnalité.
Ici nous aurons
si dénote la norme de et l'angle entre et .
Alors
avec
Par symétrie le vecteur polarisation résultant de norme est colinéaire à .
Par conséquent
or l'élément d'angle solide vaut en intégrant sur l'angle polaire
soit
or
de cette dernière équation nous tirons et finalement
ou
avec qui sera appelée fonction de Langevin.
Ainsi la polarisation moyenne est égale au produit de la densité de dipôles par unité de volume, de la valeur absolue d'un dipôle, et de cette fonction de Langevin dont nous pouvons remarquer qu'elle est égale au quotient de la dérivée d'une fonction par cette même fonction
Nous reconnaissons une dérivée logarithmique
avec
En effectuant le changement de variable trivial , comme
il vient
et
soit
Attention :
La fonction de Langevin tend vers quand tend vers l'infini (basses températures par exemple), et vers quand tend vers (hautes températures, revoir la définition de plus haut) comme le montre un développement limité que nous laisserons faire au lecteur.
Ainsi comme nous l'avions discuté qualitativement pour les hautes températures l'agitation thermique rend la moyenne de la polarisation d'orientation nulle. Par contre par exemple pour la température ambiante ( ), même pour un champ intense de l'ordre de est très petit et on peut assimiler à sa limite.
Il vient donc dans ce cas des basses températures
avec une polarisation colinéaire au champ local.
La polarisabilité d'orientation vaut donc
Rappelons qu'elle se superpose aux polarisabilités ioniques et électroniques.
Relation entre susceptibilité et polarisabilité
La polarisation totale s'exprime soit en fonction du champ total soit en fonction du champ local . Nous avons par ailleurs montré que
Comme cette polarisation s'exprime soit en fonction de la susceptibilité soit en fonction de la polarisabilité
en comparant ces deux formules et l'expression du champ local on obtient avec un peu d'algèbre
Pour un milieu peu dense on peut négliger le terme correctif au dénominateur et on obtient
et on retrouve bien que le champ local est proche du champ total.
Formule de Clausius-Mossoti
Nous pouvons a contrario reprendre la formule précédente entre susceptibilité et polarisation pour trouver
Rappel :
et que le vecteur déplacement électrique vaut
donc
et
ainsi
ce qui constitue la formule de Clausius-Mossoti.
Remarque :
La polarisabilité dépend de la température et que la densité dépend de la pression et de la température. Par conséquent la permittivité relative dépend elle aussi de ces mêmes paramètres.
On peut également exprimer la densité moléculaire en fonction de la densité , du nombre d'Avogadro et de la masse molaire
alors
Si nous supposons que polarisabilités électroniques et ioniques sont constantes, en reprenant la formule pour la polarisabilité totale incluant la dépendance de la polarisabilité d'orientation en fonction de la température
on trouve donc une dépendance linéaire pour
en fonction de cette même température, plus ou moins importante en fonction du carré de la valeur du moment dipolaire . Pour une molécule non polaire comme le méthane par exemple on peut prédire que est à peu près indépendant de la température.